2006. Grégory, Magali, et leurs deux filles Anastasia (6 ans) et Natasha (8 ans) montent dans un avion en direction de l’Australie. Ils ne le savent pas encore, mais dans 10 ans, ils seront toujours sur les routes du monde.
Cette interview est l’occasion de revenir sur leur aventure, les difficultés de voyager avec des enfants, mais aussi les joies d’être une famille nomade.
Pourquoi avez-vous décidé de tout plaquer pour devenir une famille nomade ? Avoir des enfants n’a-t-il pas été un frein pour vous ?
Nos enfants n’ont pas été un frein à notre départ, bien au contraire. C’est pour leur avenir que le départ devenait urgent.
D’un point de vue professionnel, tout allait bien pour nous. Mais le climat en France était en train de se dégrader. On ne voulait pas que nos filles grandissent dans un environnement de plus en plus fermé sur l’étranger. 6 mois, pratiquement jour pour jour, avant notre départ, il y a eu 3 semaines d’émeutes en France suite à la mort des deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, le 27 octobre 2005. Beaucoup de personnes rejetaient la faute sur les immigrés, les « étrangers ». Cela a entériné notre volonté de partir.
Au moment du départ, saviez-vous combien de temps allait durer votre aventure ? Vos proches ont-ils bien accepté votre décision de partir ?
Pas vraiment. On savait qu’on partait pour longtemps. On a tout vendu en France. On n’avait plus aucune attache matérielle. Mais on ne se doutait pas qu’on allait encore être sur la route aujourd’hui.
La famille de Grégory a énormément voyagé, du coup, ils ont très facilement accepté notre départ, même s’ils avaient un peu peur pour les filles. Du coté de chez Magali, ce fut différent. Ils ont eu beaucoup de mal à comprendre notre décision, mais ils n’ont pas eu le choix. Finalement, peu à peu, en suivant nos aventures grâce au blog, ils ont compris que c’était cette vie là qui nous rendait heureux.
Après, leurs inquiétudes reprennent le dessus de temps en temps. Là, par exemple, ils sont inquiets vis à vis de la région qu’on s’apprête à traverser (Pakistan, Iran et Irak). C’est humain.
Les filles, vous êtes âgées maintenant de 15 et 17 ans. Comment avez-vous vécu le départ en 2006 ?
Notre père nous parlait souvent des nombreux voyages qu’il a eu la chance de faire plus jeune. Puis, un jour, nos parents nous ont annoncé qu’on quittait la France, qu’on allait voyager comme le faisait notre père. Nous étions trop petites pour nous rendre compte de ce que cela signifiait. Ce qui nous a rendu tristes c’était de laisser nos jouets derrière. Pour le reste, on ne s’en souvient pas vraiment. D’ailleurs, toute la première année de voyage est très vague dans nos têtes. On se souvient des grandes lignes, grâce aux photos et aux histoires racontées par nos parents.
Quelles ont été les étapes de votre aventure pour le moment ?
Nous avons passé la première année en Australie, de 2006 à 2007. Nous avons ainsi fait un road trip dans la partie Est du pays, et avons conduit jusqu’à l’Outback.
Après quoi nous sommes restés un peu plus d’un an en Nouvelle-Zélande, jusqu’en 2008. Grégory y a travaillé. Nous avons longtemps hésité à nous y installer. Nous avons eu un véritable coup de foudre pour le pays, les paysages, les gens, mais finalement on a décidé de poursuivre la route.
De 2009 à 2011, nous avons déposé nos valises en Nouvelle-Calédonie. C’est là où nous sommes restés le plus longtemps. Nous nous sommes énormément investis dans le milieu environnemental.
En 2012 nous sommes retournés en Australie, pour visiter la côte Ouest et rouler sur les pistes du nord très peu fréquentées.
En 2013 nous n’avions plus assez d’argent pour faire venir notre véhicule en Asie, du coup nous avons voyagé avec nos sacs sur le dos. Nous avons été en Indonésie, en Malaisie, à Brunei, et à Bornéo.
En 2014, grâce à un financement participatif, nous avons pu retrouver notre maison sur roues pour voyager en Asie du Sud-Est jusqu’en Inde (Malaisie, Singapour, Thaïlande, Laos, Cambodge, Myanmar). Et dans quelques jours, nous partons vers de nouveaux horizons : au Moyen-orient avec au programme Pakistan, Iran, Irak, Arabie-Saoudite, EAU, Oman, Jordanie, Israel et Egypte avant d’attaquer le tour de l’Afrique. On ne sait pas exactement combien de temps on va mettre pour cette partie, peut-être 3 ans, peut-être plus. Et ensuite l’Amérique.
Comment vous organisez-vous pour l’école ?
La première année c’est Magali qui a fait l’école aux filles. En Nouvelle-Zélande, comme on s’est arrêtés à un point fixe pour travailler, les filles ont intégré une école néo-zélandaise où elles ont pu apprendre l’anglais. Elles sont devenues bilingues. En Calédonie, elles ont été inscrites à l’école française, mais elles ont redoublé à cause de leurs lacunes en français.
Lorsque nous sommes repartis sur les routes en 2012, nous avons souhaité qu’elles continuent les cours à distance, avec le CNED. Malheureusement, les filles ont pris du retard dans le rendu des devoirs. Malgré des notes suffisantes, ils ont proposé un redoublement. Les filles ont refusé et elles ont décidé d’arrêter cette année. Natasha continue les langues (Français, Anglais, Chinois et Espagnol) et elle veut se consacrer pleinement au dessin (sa BD devrait être éditée l’année prochaine). Anastasia profite des cours de sa soeur, on aimerait qu’elle atteigne au moins le niveau de 2nde.
Comment financez-vous ce voyage ?
Grégory est un ancien militaire. On finance donc notre aventure avec sa pension. Grâce à divers sponsors, on ne paye pas certains frais comme les assurances ou les pièces à changer sur la voiture à hauteur de 500€ de pièces par an envoyé là où on en a besoin. En gros, nous vivons avec 500€ par mois, et grâce à ces sponsors nous n’emputons pas sur notre budget déjà restreint. D’où notre quête permanente de sponsors.
En tant que parents, avez-vous l’impression d’imposer votre désir de nomadisme à vos filles ? Et est-ce finalement difficile de voyager avec des enfants ?
D’une manière globale, voyager avec des enfants ce n’est certes pas simple, mais ça n’est finalement pas si compliqué que ça. D’ailleurs cela apporte beaucoup car ils n’ont pas la même vision des choses que nous. Chaque décision est prise en commun. Chaque difficulté est discutée en famille, quelque soit le sujet. Nous ne voulions pas leur imposer notre choix de vie sur les routes. Elles sont au courant de tout et nous leurs demandons très régulièrement leur avis, afin d’être sûrs qu’elles ne veulent pas vivre autre chose. Mais, pour l’instant, ça leur va. Grâce à elles, je pense que nous vivons différemment le voyage.
Bon évidemment lorsque nous avons commencé à voyager nous n’avions plus les préoccupations concernant les couches, les biberons etc. Si ça avait été le cas, peut-être que ça nous aurait freinés, quoique…
Comment les filles voient leur futur ?
Natasha veut devenir illustratrice et continuer à faire des bandes dessinées. Elle en a une qui doit être édité en 2016 et elle en a déjà 5 tomes en prévision, toujours sur le thème du voyage. Elle ne sait pas encore si elle veut continuer le voyage avec nous à sa majorité ou si elle veut retourner en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Nous y avons des amis prêts à l’accueillir, et elle aura l’âge de faire un Visa Vacances Travail.
Anastasia voudrait réaliser des vidéos. Mais, en attendant, elle a pour projet de continuer le voyage avec nous jusqu’en Amérique. On verra bien ce que l’avenir nous dira, ou leur dira.
En étant une famille nomade, est-ce qu’on arrive tout de même à faire de vraies rencontres, à créer des amitiés qui durent malgré la distance ?
Notre manière de voyager nous permet de rencontrer beaucoup de personnes sur les routes. Certaines de ces personnes sont hors du commun. On pense particulièrement à trois d’entre elles. Nous les appellons nos anges gardiens. Nous les avons rencontrés en cours de voyage. Ca commence généralement comme avec les autres personnes que l’on rencontre puis malgré la distance (physique) nous arrivons à garder un réel lien privilégié. Ces personnes, même à distance, arrivent à nous aider, à nous guider, à nous diriger vers le bon chemin et nous sortent généralement d’un mauvais pas ou nous font connaître d’autres personnes sur la route, leur amis, leur relations ou même leur famille. Giselle en Australie, Rajay en Asie du Sud-Est, Gary en Inde. Un jour, on écrira un livre sur ces personnes qui furent pour nous une bouffée d’oxygène. Je ne crois pas en un Dieu omnipotent, je préfère croire en ces rencontres qui sont pour moi des exemples à suivre. Même si toutes les rencontres sont merveilleuses celles-la sont exceptionnelles.
Avez-vous des regrets ? Pensez-vous revenir en France un jour ?
Les parents : Des regrets ? Aucun, mais absolument aucun! Il est vrai que, comme tous modes de vie, celui là a aussi des inconvénients, comme par exemple le fait de ne pas avoir une maison avec des toilettes, une douche, de l’électricité… Parfois, nous aimerions nous arrêter, ne serait-ce qu’un mois, quelque part, et nous sentir chez nous. Quand nous ne dormons pas sous la tente, nous sommes accueillis par des locaux, des amoureux du voyage, des personnes formidables, qui nous hébergent volontiers, mais ce n’est pas pareil ! Au final, nous ne regrettons pas d’avoir cette liberté que nous procure le nomadisme.
Natasha : Je ne regrette pas non plus. Mais, je dois avouer que c’est difficile de supporter ses parents H24, de correspondre avec ses amies uniquement par e-mail, sans compter le manque d’internet et le fait de tout partager avec sa soeur (elle dorment dans le même lit depuis le début du voyage).
Anastasia : Tout comme ma soeur, je trouve que le plus difficile est d’être H24 avec sa soeur, et également le fait de ne rien avoir de réellement personnel comme un lit, une armoire, un espace de travail…
Malgré tout, nous n’envisageons pas de revenir nous installer en France. Depuis notre départ nous n’avons jamais remis le pied en métropole. Nous prévoyons un passage dans les alentours de 2019, peut-être un peu plus longtemps que dans les autres pays, histoire de revoir nos proches avant de repartir pour découvrir l’Europe et les Amériques.
Merci beaucoup à la famille Trastour d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous qui envisageons de plus en plus une future vie de famille nomade, ça nous montre qu’un autre mode de vie est possible.
On espère que cet article vous a inspiré 🙂
Pour suivre leur incroyable tour du monde :
Vous pouvez aller sur leur blog : www.nomadsroad.com
ou sur facebook : www.facebook.com/nomadsroad
A très bientôt pour un nouveau témoignage !
Clo & Clem
5 commentaires
C’est un magnifique témoignage d’une expérience ô combien exceptionnelle !
Comme ça fait plaisir ce genre de témoignages!
Nous sommes une famille en « tour du monde » avec 2 loulous de 18 mois et 4 ans au moment du départ.
Seulement 1 an et demi de prévu, c’est à la fois peu et beaucoup. Nous sommes de passage en France, au milieu de notre voyage et j’avoue que plein de questions se percutent dans ma tête quant à notre retour « définitif ».
C’est une bouffée d’air frais leur histoire!
Merci à vous de transmettre ces infos (ça fera peut être aussi réaliser aux voyageurs sans enfants que leur vie de voyage n’est pas finit une fois que les enfants débarquent dans leur vie!!!) 😉
Alice
Un beau témoignage pour les personnes désirant se lancer sur la route. Pour les enfants nomades il est vrai que c’est toujours délicat de supporter h24 frère et soeur ha ha ha… Nos garçons ont vécu le lit partagé et son contents de savoir que dans le nouveau camion, chacun aura le sien même si c’est en 70cm. Bon vent et sûrement à bientôt sur la route. Les 4 Farfelus
Wow! Impressionnant!
Nous avons fait un tour du monde avant l’agrandissement de la famille et on aimerait bien le refaire! Mais difficile de se projeter. Est-ce que la loi n’oblige pas l’école etc pour les enfants ou chacun peut faire comme il l’entend?
Merci en tout cas pour ce partage!
Murvin (AuBoodhooMonde)
Bonjour,
j’ai ouvert une crêperie à Wellington il y a 14 ans mais je suis revenue assez vite en france car la vie était difficile pour les enfants. j’aimerais repartir à l’aventure sans crêperie cette fois et j’aimerais savoir comment voyager un an en Australie ou NZ sans problème de visa?